Aides d'État: La Cour de Justice de l'UE annule partiellement la décision de la Commission européenne dans l'affaire du Nürburgring

EU
Available languages: EN, NL

Le 2 septembre 2021, la Cour de Justice de l'UE (« CJUE ») a annulé les arrêts rendus par le Tribunal le 19 juin 2019 qui déclaraient les recours des plaignants irrecevables et confirmait la légalité de la décision de la Commission européenne dans l'affaire du Nürburgring. La décision de la Commission de 2014, avait imposé à l'Allemagne la récupération d'aides illégales et incompatibles entre 2002 et 2012 à diverses entités publiques mais avait conclu à l'absence d'aide, à l'issue de la procédure préliminaire, en faveur du repreneur lors de la vente du complexe de Nürburgring dans le cadre d'une procédure de sélection. Ce dernier comprend le célèbre circuit automobile, un parc de loisirs, des hôtels et des restaurants et peut donc être considéré comme une activité économique clé dans la région de Rhénanie-Palatinat, en Allemagne.

L'enquête de la Commission européenne

En 2011, Ja zum Nürburgring, une association allemande de sport automobile, a déposé une plainte auprès de la Commission, alléguant que le Land de Rhénanie-Palatinat avait accordé des aides d'État illégales et incompatibles entre 2002 et 2012 aux entreprises publiques propriétaires du complexe du Nürburgring à l'époque.

À l'issue de son enquête préliminaire, la Commission a en 2012 ouvert une procédure formelle d'examen sur diverses interventions publiques. La même année, les propriétaires ont été déclarés insolvables, ce qui a entraîné la vente de leurs actifs par le biais d'un appel d'offres à la société Capricorn. La Commission a décidé d'étendre son enquête à des mesures d'aides financières supplémentaires qui étaient destinées à empêcher ladite insolvabilité des entreprises publiques concernées.

En 2013 et 2014, Ja zum Nürburgring et NeXovation (une entreprise privée américaine active dans les secteurs des technologies de l'information, des produits de consommation, de l'énergie et de l'automobile) ont déposé de nouvelles plaintes auprès de la Commission au motif que la procédure d'appel d'offres n'avait pas été ouverte, transparente, non discriminatoire et inconditionnelle. Selon les plaignants, l'aide d'État accordée dans le cadre de l'appel d'offres public consistait en la différence entre le prix réel du marché et le prix payé par Capricorn.

Les décisions de la Commission européenne

Dans sa décision du 1er octobre 2014, la Commission a conclu que :

  1. certaines des mesures de soutien dont les vendeurs ont bénéficié entre 2002 et 2012 constituaient des aides illégales et incompatibles. Toutefois, l'aide accordée aux vendeurs n'aurait pas pu être transférée à Capricorn ni à ses filiales et n'a donc pas pu être récupérée auprès d'elles en raison de l'absence de continuité économique entre les anciens propriétaires du complexe et Capricorn. (première décision adoptée à l'issue de la procédure formelle d'examen) ;
  2. Capricorn n'a pas bénéficié d'une aide lors de la vente puisque la procédure d'appel d'offres avait été menée de manière ouverte, transparente et non discriminatoire et que le prix de vente final a finalement été jugé conforme au prix du marché (deuxième décision de ne pas soulever d'objections adoptée dans le cadre de l'enquête préliminaire).

Arrêts du Tribunal

Les deux plaignants, Ja zum Nürburgring et NeXovation, ont contesté la légalité de la décision de la Commission devant le Tribunal de l'UE. Les requérants ont avancé plusieurs arguments, dont (i) l'interprétation erronée de la notion d'aide d'État, (ii) l'interprétation erronée du principe de continuité économique, (iii) l'absence de prise en compte de la poursuite du processus de vente, (iv) la violation de leurs droits procéduraux, (v) la violation de l'obligation de motivation et (vi) la violation du droit à une bonne administration, tout en affirmant que la Commission n'a pas procédé à un examen diligent et impartial des plaintes des requérants.

Le Tribunal a décidé que Ja zum Nürburgring et NeXovation n'avaient pas la qualité pour agir dans le cadre du recours introduit contre la première décision attaquée, dans laquelle la Commission a rejeté la continuité économique entre les anciens propriétaires du complexe et Capricorn, parce qu'ils n'étaient pas considérés comme individuellement et directement concernés au sens de la jurisprudence européenne constante et notamment de l'arrêt Plaumann.

NeXovation n'a pas été considérée comme pouvant être substantiellement affectée par la décision de la Commission car elle n'était pas active sur les marchés pertinents. Ces marchés pertinents ont été définis comme l'exploitation de circuits de course, de parcs tout-terrain, de parcs de loisirs, d’entreprises d’hôtellerie et de restauration, de centres de sécurité routière, d’écoles de conduite, de salles polyvalentes et de systèmes de paiement sans espèces ainsi que ceux de la promotion du tourisme, du développement de projets, de la construction de biens immobiliers, de la direction d’entreprises et du commerce de voitures ou de motos.

Ja zum Nürburgring n'avait quant à elle pas établi qu'elle occupait, dans le cadre de la procédure formelle d'examen ayant précédé l'adoption de la première décision attaquée, une position de négociateur, clairement circonscrite et intimement liée à l'objet de cette décision, sur laquelle elle aurait pu se fonder pour démontrer qu’elle était individuellement concernée.

En revanche, le Tribunal a également jugé que Ja zum Nürburgring et NeXovation avaient qualité pour agir à l'encontre de la deuxième décision de la Commission afin de sauvegarder leurs droits procéduraux au stade préliminaire. Si le Tribunal avait annulé la deuxième décision de la Commission pour violation des droits procéduraux, cette dernière aurait été obligée d'ouvrir une procédure formelle d'examen dans laquelle elle aurait dû demander au requérant, en tant que partie intéressée, de présenter ses observations. Il s'ensuit que les garanties procédurales de la partie intéressée dans le cadre d'une enquête préliminaire sont donc sensiblement plus limitées et que l'annulation de la deuxième décision de la Commission affecterait considérablement la position des requérants, les rendant individuellement concernés.

Néanmoins, le Tribunal a déclaré en l'espèce les deux recours introduits par Ja zum Nürburgring et NeXovation en ce qui concerne la deuxième décision en partie irrecevable et non fondée pour le reste.

Arrêts de la Cour de Justice de l'UE

Ja zum Nürburgring et NeXovation ont introduit un pourvoi devant la CJUE à l'encontre des arrêts du Tribunal. Celle-ci a récemment annulé ces arrêts en ce qui concerne l'irrecevabilité des recours relatifs à la procédure d'appel d'offres et la deuxième décision de la Commission de ne pas soulever d'objections à cet égard sans ouvrir une procédure formelle. Par conséquent, la CJUE annule l'article de la décision de la Commission relatif à la vente des actifs du complexe Nürburgring bien qu'elle ne mette pas en cause la première décision relative à l'absence de continuité économique.

Dans son appréciation, la CJUE a rappelé que l'obtention d'un financement garanti est l'un des paramètres essentiels pour le choix final de l'adjudicataire inscrit dans une procédure d'appel d'offres. Dans le cadre de sa décision de ne pas soulever d'objections, la Commission a donc eu tort de considérer qu'il n'y avait aucun doute quant au financement de l'offre de Capricorn, puisqu'une lettre particulière de sa banque ne contenait aucun engagement de financement contraignant. Selon la CJUE, cette constatation implique que Capricorn a bénéficié d'un traitement préférentiel et n'a pas vu son offre rejetée, alors que l'offre plus élevée de NeXovation a été rejetée faute de preuve adéquate de financement. En d'autres termes, il n'était pas possible de garantir que la procédure d'appel d'offres, telle qu'elle a été menée, remplissait l'exigence de non-discrimination.

Par conséquent, la Commission n'aura d'autre choix que d'ouvrir une enquête approfondie sur le processus de vente du complexe du Nürburgring. Néanmoins, cela ne signifie pas nécessairement que l'issue de l'affaire sera différente de la décision de la Commission de 2014, car il existe plusieurs façons de démontrer le prix du marché des actifs.

Conclusion et perspectives

Ces arrêts démontrent la difficulté d'apprécier la notion d'intérêt individuel et direct dans certains cas, malgré une jurisprudence abondante.

Par ailleurs, la CJUE met de plus en plus de pression sur la Commission quant au bien-fondé de son appréciation dans le cadre de son renvoi préjudiciel puisqu'elle étend la notion de doutes qui entraînent l'obligation pour la Commission d'ouvrir une procédure formelle d’examen. Cette procédure implique l'adoption d'une décision formelle envoyée à l'État membre concerné qui a la possibilité de la commenter, la publication de celle-ci au Journal officiel de l'UE et la possibilité pour les parties intéressées de soumettre leurs observations à la Commission. Cette procédure formelle dure plusieurs années.

Dans ce contexte, la Commission devra à présent réévaluer si une aide d'État a effectivement été accordée à Capricorn ou non.

En outre, cette affaire révèle l'impact de la problématique des aides d'Etat sur de telles transactions notamment car l'ensemble du projet du Nürburgring n'était pas considéré comme économiquement viable à long terme. Diverses parties prenantes étaient donc d'avis qu'il ne fallait pas le maintenir artificiellement en activité par l'octroi d'aides d'État.

En ce qui concerne les aides accordées par le passé au complexe du Nürburgring, il convient de souligner que le Règlement Général d'exemption par catégorie prévoit plusieurs catégories d'aides qui peuvent être appliquées au financement d'infrastructures sportives, multifonctionnelles et locales. L'évaluation de la légalité du financement public doit être effectuée avant la décision d'octroi de la mesure publique.

Pour plus d'informations, n'hésitez pas à nous contacter !