La CJUE précise la durée de l’infraction en cas de collusion dans un marché public

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Le 14 janvier 2021, la Cour de Justice de l’UE a précisé la durée de l'infraction en cas de collusion dans un marché public dans le cadre d'une procédure préjudicielle. La détermination de la date de fin de l’infraction est primordiale dès lors que cette date fait courir le délai de prescription applicable aux sanctions destinées à réprimer une telle infraction et que la durée de l'infraction est un facteur important de détermination du montant de l'amende.

En avril 2007, Fingrid Oyj, l’entreprise propriétaire et responsable du développement du réseau de transport d’électricité à haute tension en Finlande, a publié un appel d’offres portant sur les travaux de construction d’une ligne de transport d’électricité à haute tension. En juin 2007, la société Eltel a remporté le marché.

À la suite d’une demande de clémence introduite par la société Empower Oy, l’Autorité finlandaise de la concurrence et de la consommation a, par décision du 31 octobre 2014, condamné solidairement Eltel Group et Eltel Networks à une amende de 35 000 000 EUR pour avoir enfreint l’article 4 de la loi relative aux restrictions de concurrence ainsi que l’article 101.1 TFUE, avoir soumis des offres coordonnées avec Empower Oy concernant les prix, les marges et la répartition des marchés de conception et de construction de lignes de transport d’énergie électrique en Finlande.

L’Autorité a considéré qu’il s’agissait d’une infraction unique et continue qui aurait commencé au plus tard au mois d’octobre 2004 et se serait poursuivie sans interruption au moins jusqu’au mois de mars 2011.

Le Tribunal finlandais des affaires économiques a toutefois rejeté la demande de condamnation au motif que les poursuites, introduites en 2014, étaient prescrites. En effet, selon le tribunal, Eltel avait cessé de participer à l’infraction en janvier 2010, date d’achèvement des travaux.

La Cour, saisie d’un recours introduit par l’Autorité, a posé une question préjudicielle à la CJUE afin de préciser la durée et la date de fin d’une infraction à l’article 101.1 TFUE.

Dans sa question préjudicielle, la Cour administrative suprême a envisagé quatre dates susceptibles de marquer la fin de l’infraction :

  • La date du dépôt de l’offre ;
  • La date de conclusion du contrat ;
  • La date du paiement de la dernière tranche du prix convenu :
  • La date d’achèvement des travaux faisant l’objet du marché.

L’arrêt de la CJUE

En premier lieu, la CJUE relève que l’article 101.1 TFUE interdit toute prise de contact, directe ou indirecte, entre les opérateurs économiques de nature soit à influer sur le comportement sur le marché d’un concurrent actuel ou potentiel, soit à dévoiler à un tel concurrent le comportement que l’on est décidé à tenir soi-même sur le marché ou que l’on envisage d’adopter sur celui-ci, lorsque ces contacts ont pour objet ou pour effet une restriction de la concurrence.

De plus, la CJUE souligne que les accords sur la répartition de la clientèle, tout comme les accords sur les prix, constituent les infractions les plus graves au regard du droit de la concurrence.

En l’occurrence, la CJUE estime que les faits retenus à l’encontre d’Eltel étaient bien de nature à constituer une restriction de concurrence interdite par l’article 101.1 TFUE.

Concernant la durée de l’infraction, la CJUE précise qu’en cas d’ententes qui ont cessé d’être en vigueur, il suffit, pour que l’article 101.1 TFUE soit applicable, qu’elles poursuivent leurs effets au-delà de la cessation formelle des contacts collusoires. Par conséquent, la durée de l’infraction pourrait, en principe, englober toute la période durant laquelle les prix fondés sur une collusion ont été appliqués (i.e. jusqu’au dernier paiement par le pouvoir adjudicateur), même si l’entente aurait déjà cessé formellement d’être en vigueur.

Cependant, la CJUE rappelle que l’objectif poursuivi par les règles de concurrence exige de considérer qu’une infraction à l’article 101.1 TFUE dure aussi longtemps que persiste la restriction de la concurrence résultant du comportement litigieux.

En l’occurrence, la CJUE relève que l’infraction couvre toute la période pendant laquelle Eltel a mis à exécution l’accord litigieux, ce qui inclut la période pendant laquelle l’offre à prix fixe qu’Eltel a soumise était en vigueur ou était susceptible d’être transformée en contrat définitif entre Eltel et le pouvoir adjudicateur.

Selon la CJUE, les effets restrictifs de concurrence disparaissent donc, en principe, au plus tard au moment où les caractéristiques essentielles du marché, et notamment le prix global à payer en contrepartie des biens, des travaux ou des services faisant l’objet du marché ont été définitivement déterminées, le cas échéant, par la conclusion du contrat.

En conclusion, la CJUE a jugé que l’infraction a pris fin à la date de dépôt de l’offre illicite ou, si l’offre est retenue, à la date à laquelle est signé le contrat entre l’entreprise et le pouvoir adjudicateur, pour autant que ce dernier ait définitivement déterminé les caractéristiques essentielles du marché en cause, et notamment le prix global à payer en contrepartie de ces travaux.

Relevons que de nombreuses autorités nationales de la concurrence incluent dans leurs priorités la collusion dans les marchés publics, considérée comme une infraction grave au droit de la concurrence. Ainsi, diverses autorités nationales condamnent régulièrement ce type d'infractions, notamment en France, en Espagne et en Hongrie. L'Autorité belge de la concurrence a publié quant à elle en 2017 un guide pour les acheteurs chargés des marchés publics et accueille favorablement toute demande d'enquête à ce sujet.