Vers la fin des exonérations fiscales en faveur des ports en Europe?  

L'Europe
Available languages: EN

En janvier 2020, la Commission européenne a publié sa décision d’ouvrir une enquête approfondie concernant l’exonération fiscale accordée par l’Italie en faveur de ses ports en raison du refus de cet État d’accepter les mesures utiles proposées par la Commission européenne et visant à abolir ce privilège fiscal.

Par ailleurs, la Commission a rendu publique en décembre 2019 sa décision constatant l’acceptation inconditionnelle par l’Espagne de sa requête d’abolir son exonération fiscale en faveur de ses ports.

En janvier 2019, la Commission européenne avait invité l’Espagne et l’Italie à adopter des mesures nécessaires pour abolir une exonération fiscale appliquée aux autorités portuaires.

Ces procédures faisaient suite à des enquêtes lancées en 2013 par la Commission européenne sur le fonctionnement et la taxation des ports dans les États membres. Ces enquêtes ont révélé que la plupart des États membres soumettaient les activités économiques de leurs ports au régime normal d’imposition des sociétés, à l’exception de certains Etats membres.

Dans la foulée de ces études, la Commission européenne avait ordonné aux Pays-Bas en 2016, et en 2017, à la Belgique et à la France d’ adapter leur système de taxation applicable aux autorités portuaires. Pour plus d’informations à ce sujet, nous vous renvoyons à notre précédent article. Les recours en annulation introduits à l’encontre de ces décisions ont été tous rejetés par le Tribunal de l’UE.

La Commission disposait donc du champ libre pour poursuivre ses procédures à l’encontre de l’Italie et de l’Espagne.

En octobre 2019, l’Espagne a informé la Commission de son acceptation inconditionnelle des mesures utiles proposées par la Commission. La décision de la Commission constatant cette acceptation a été rendue publique en janvier 2020.

Par contre, en mars 2019, l’Italie a informé la Commission qu’elle rejetait la proposition de modifier son régime de taxation applicable aux ports. En conséquence, la Commission a décidé en novembre 2019 d’ouvrir une procédure formelle d’examen afin de vérifier si l’aide existante est conforme aux règles de l’UE en matière d’aides d’État et si ce n’est pas le cas, d’imposer des mesures utiles à l’Italie.

Cette décision a été publiée le 10 janvier 2020 au Journal Officiel de l’UE. Par cette publication, la Commission a invité tous les tiers intéressés tels que les ports italiens ou leurs concurrents à lui soumettre leurs observations dans un délai d’un mois à partir de cette publication.

Cette décision décrit la mesure fiscale en cause, les arguments présentés par la Commission et les doutes de la Commission quant à la compatibilité de l’exonération fiscale avec le Traité sur le fonctionnement de l’UE.

Ainsi, dans le cadre de l’enquête préliminaire, l’Italie a présenté plusieurs arguments visant à justifier le maintien de l’exonération de l’impôt des sociétés dont bénéficient les autorités portuaires. L’Italie a argumenté en premier lieu que les ports italiens sont « loin de faire concurrence, même potentiellement, sur les marchés européens » mais souffrent d’une « concurrence impitoyable » de la part des ports nord-africains. Ensuite, l’Italie a rappelé que, selon son interprétation du code italien des impôts, seules les entreprises exerçant des activités économiques sont soumises à cet impôt. Or, l’Italie estime que les autorités portuaires appartiennent à l’administration publique et ne constituent pas des entreprises en tant que telles car elles n’exercent que des activités de nature non économique, telles que le contrôle du trafic maritime et la surveillance de la sécurité, qui sont des tâches relevant de la puissance publique.

Dans sa décision, la Commission rappelle que, selon la jurisprudence européenne, une entreprise est une entité exerçant une activité économique indépendamment du statut juridique de l’entité, de la manière dont elle est financée ou du fait qu’elle soit publique. La Commission ne remet pas en cause la légalité du code italien des impôts, mais conteste l’interprétation faite par l’Italie des dispositions régissant l’imposition des sociétés et considère que les autorités portuaires exercent également des activités économiques, ces activités consistant essentiellement en l’exploitation commerciale d’infrastructures portuaires (telles que la location des terrains portuaires).

Par conséquent, selon la Commission, l’exonération de l’impôt sur les sociétés dont bénéficient les autorités portuaires italiennes pour leur activités économiques leur confère un avantage financier accordé par l’État au moyen de ressources d’État qui peut fausser la concurrence et affecter les échanges entre États membres. En effet, les ports participent aux échanges à l’intérieur de l’Union ce qui impliquent qu’ils sont inévitablement en concurrence les uns avec les autres.

À ce stade, la Commission estime donc que l’exonération fiscale accordée aux autorités portuaires italiennes constitue une aide d’état qui semble être incompatible avec les règles européennes. Seules les activités économiques sont dans le collimateur de la Commission. Les activités non économiques (douanes, police, surveillance anti-pollution, etc.) des ports peuvent demeurer soumises à un régime fiscal particulier.

Les régimes d’exonération fiscale en faveur des autorités portuaires (espagnols et italiens) existaient déjà avant 1958, année de la signature du Traité de Rome. Ces mesures constituent des aides existantes en telle sorte que la Commission ne peut qu’ordonner l’abolition de ces systèmes de taxation pour l’avenir (et non requérir un remboursement de ces aides perçues dans le passé).

Les autorités italiennes ont déjà eu l’occasion de réagir à la position de la Commission.

Les parties intéressées sont quant à elles invitées à présenter leurs observations à la Commission avant le 10 février 2020. Ces observations seront envoyées à l’Italie qui aurait l’occasion de les commenter.

Finalement, il est important de relever qu’il est possible pour les États d’accorder des aides à l’investissement en faveur des ports maritimes et intérieurs. Ainsi, en mai 2017, le Règlement Général d'exemption par catégorie permet aux États membres d’accorder de telles aides jusqu’à 150 millions d’euros par projet dans les ports maritimes et jusqu’à 50 millions d’euros par projet dans les ports intérieurs sans obligation de notification préalable à la Commission, grâce à la simplification des règles relatives aux investissements publics dans les ports sous réserve du respect des conditions prévues par ce Règlement. Au-delà de ces plafonds, les projets d’aide doivent faire l’objet d’une autorisation formelle de la Commission européenne.