Abus de position dominante d’une société de gestion collective des droits d’auteur pour redevances excessives

Europe
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La Commission européenne est généralement réticence à condamner des abus de position dominante sous la forme de prix excessifs et principalement dans les marchés libres et concurrentiels, ceux-ci ayant tendance à s’autocorriger. Cette réticence est également justifiée par les difficultés pratiques d’établir le caractère excessif d’un prix dans certains cas.

La Cour de justice de l’UE a eu l’occasion récemment de préciser les principes applicables à cette pratique d’exploitation abusive au détriment des clients lorsque les entreprises concernées disposent d’un monopole légal à l’instar des sociétés de gestion collective des droits d’auteur.

La Cour de justice de l’UE a rendu le 14 septembre 2017 un arrêt dans le cadre d’un renvoi préjudiciel en matière de redevances fixées par un organisme de gestion collective de droits d’auteur en Lettonie. Cet organisme de gestion collective avait été condamné, par l’autorité de la concurrence lettonne, à payer une amende pour abus de position dominante du fait de l’application de tarifs excessifs. Cette décision a fait l’objet de contestations, d’abord devant la Cour administrative régionale lettone, ensuite devant la Cour suprême.

En l’espèce, la Cour suprême de Lettonie (département des affaires administratives) s’interrogeait essentiellement sur l’interprétation qu’il convient de donner à l’article 102, alinéa 2, a) du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (ci-après « TFUE »), lequel interdit les abus de position dominante.

Parmi les diverses questions soumises par la juridiction lettonne, figuraient les questions suivantes :

  • Est-ce que les activités d’une société de gestion collective de droits d’auteur ont une incidence sur le commerce entre Etats membres ?
  • Est-ce que la méthode retenue pour déterminer le caractère non-équitable des prix, consistant notamment en une comparaison des tarifs appliqués dans les pays limitrophes, peut être considérée comme étant valable ?
  • Est-ce que le calcul de l’amende (qui peut aller jusqu’à 10% du chiffre d’affaires total réalisé au cours de l’exercice social précédent) peut notamment se fonder sur les rémunérations destinées aux titulaires de droits ?

Concernant la première question, la Cour de justice a rappelé une jurisprudence bien établie selon laquelle les organismes de gestion collective de droit d’auteur sont soumis au droit de la concurrence, et plus particulièrement à l’interdiction des abus de position dominante dans le cadre de la détermination de leurs redevances. En effet, le commerce entre États membres peut être affecté par les pratiques tarifaires d’un organisme de gestion des droits d’auteur qui détient un monopole dans son État membre, et qui y gère également ceux de titulaires étrangers.

La deuxième portait sur la méthodologie à appliquer pour déterminer le caractère excessif d’un prix. En l’espèce, une comparaison avait été effectuée par l’autorité de la concurrence entre des tarifs appliqués en Lettonie pour l’utilisation d’œuvres musicales dans les magasins et les espaces de service à ceux appliqués en Lituanie et en Estonie en tant qu’États membres limitrophes et marchés voisins. En outre, l’autorité de la concurrence avait effectué une seconde analyse en se fondant sur l’indice de la parité du pouvoir d’achat afin de comparer les redevances en vigueur dans une vingtaine d’autres États membres. Il avait alors constaté à cet égard que les tarifs dus en Lettonie excédaient de 50 % à 100 % le niveau moyen de ceux pratiqués dans ces autres États membres.

Dans cette affaire, la Cour a dit pour droit qu’afin d’examiner si un organisme de gestion des droits d’auteur applique des prix non équitables au sens de l’article 102, second alinéa, sous a), TFUE, une comparaison de ses tarifs à ceux applicables dans les États voisins ainsi qu’à ceux applicables dans d’autres États membres, corrigés au moyen de l’indice de la parité du pouvoir d’achat (ci-après « IPP »), est tout à fait adéquate. Les États de référence doivent néanmoins avoir été sélectionnés selon des critères objectifs, appropriés et vérifiables. La base des comparaisons effectuées doit en outre être homogène. La Cour a également précisé qu’il est loisible de comparer les tarifs pratiqués dans un ou plusieurs segments d’utilisateurs spécifiques (en l’espèce, il s’agissait de magasins et d’espaces de service d’une certaine superficie) s’il existe des indices que le caractère excessif des redevances porte sur ces segments.

L’écart entre les tarifs comparés doit être considéré comme sensible si celui-ci est significatif et persistant. Un tel écart constitue un indice d’abus de position dominante et il appartient à l’organisme de gestion des droits d’auteur en position dominante de démontrer que ses prix sont équitables en se fondant sur des éléments objectifs ayant une incidence sur les frais de gestion ou sur la rémunération des titulaires de droits. La Cour renvoie donc la charge de la preuve à l’organisme dès qu’il y a des indices de tarification excessive.

S’agissant du calcul de l’amende dans les cas où l’infraction visée à l’article 102, second alinéa, sous a), TFUE est établie, les rémunérations destinées aux titulaires de droits doivent être incluses, aux fins de la détermination du montant de l’amende, dans le chiffre d’affaires de l’organisme de gestion des droits d’auteur concerné. Il faut néanmoins que ces rémunérations fassent partie de la valeur des prestations fournies par cet organisme et que ladite inclusion soit nécessaire pour assurer le caractère effectif, proportionné et dissuasif de la sanction infligée.

La directive 2014/26/UE concernant la gestion collective du droit d’auteur et des droits voisins et l’octroi de licences multi-territoriales de droits sur des œuvres musicales en vue de leur utilisation en ligne dans le marché intérieur avait notamment pour objectifs (i) d’assurer que les titulaires de droits aient une influence sur la gestion de leurs droits et (ii) de favoriser un meilleur fonctionnement des organismes de gestion collective. Dans de nombreux pays, ces objectifs n’ont pas été atteints et la jurisprudence européenne vient donc encadrer la marge d’action de ces organismes bénéficiant d’un monopole légal.